9 aout 2027 – visite d’un immeuble partagé

 

Ce matin, j’ai prévu de visiter un studio. L’agence m’a donné rendez-vous à 9h devant la résidence Jean Mermoz dans laquelle se trouve le fameux appartement. La résidence est située au nord de Montpellier, pas très loin de l’université Paul Valéry dans laquelle je débute ma première année d’études supérieures. 

J’ai grandi à la campagne et habité dans une grande maison. Les logements de cette ville me semblent donc trop petits, d’autant plus que leur loyer est cher. Cela fait presque un mois que je cherche sans résultats.

J’ai un temps envisagé la colocation, mais je crois que je ne suis pas fait pour ce genre de pratique : trop bordélique.

Neuf heures moins cinq, j’arrive devant la résidence. Peu de temps après, l’agent avec qui j’ai rendez-vous me rejoint. Nous nous présentons succinctement : le gars a l’air sympa, il me propose même de l’appeler par son prénom : Pierre.

On entre dans la résidence et on commence la visite.

Au rez-de-chaussée, il n’y a pas de logements, mais un nombre impressionnant d’espaces communs pour les habitants de la résidence.

Dans les autres visites que j’ai faites, seuls les couloirs et parfois un jardin étaient partagés. Ici, de nombreux d’espaces sont mutualisés : un jardin, une buanderie, un atelier de bricolage, une bibliothèque, un salon avec cuisine… Il y a même un espace cinéma pour regarder des films sur grands écrans.

J’avais bien vu sur l’annonce que la résidence était dotée d’espaces mutualisés, mais je ne m’attendais pas à ça. L’agent voit bien ma surprise et en a l’air amusé. Il m’explique que ces espaces sont mis en commun pour plusieurs raisons.

La première raison est environnementale : partager des outils dont on ne se sert pas tous les jours permet de limiter la surconsommation. Par exemple, au lieu d’avoir une machine à laver dans chaque appartement, il y a une buanderie avec 5 machines pour tout le monde. Cela permet aussi de libérer de l’espace dans les appartements.

La seconde raison est économique : partager les biens dont on se sert rarement évite les achats superflus. De plus, cela permet de profiter d’équipements coûteux à peu de frais. C’est notamment le cas de l’espace cinéma en haut, doté d’un grand projecteur, d’un bon système sonore et de fauteuils confortables.

En outre, la mise en commun des espaces limite le montant des loyers, car les logements n’ont pas besoin d’être très grands.

La dernière raison, probablement la plus importante, est l’aspect social : les espaces partagés permettent de rencontrer plus facilement les autres habitants de la résidence et d’organiser des événements ensemble. 

Dans cet immeuble, il y a plein de profils différents, des couples avec et sans enfants, des retraités, des jeunes actifs ou des étudiants comme moi. Tous ne sont pas locataires, la plupart sont même propriétaires. Dans les résidences classiques, il n’y a que très peu d’interactions. Ici, tout le monde se connaît, et la mixité de génération et de mode de vie facilite aussi l’entraide. Par exemple, il arrive souvent que les enfants soient gardés par une retraitée de la résidence.

Coupe perspective de l'habitat partagé.
Organisation spatiale de la résidence (cliquez pour agrandir)

Forcément, la première chose qui me vient à l’esprit est la gestion des espaces partagés. Qui fait le ménage ? Qui remplace un objet s’il est cassé ? Que faire s’il y a un conflit ?

Pierre m’explique que le ménage, l’entretien et les réparations sont réalisés par des professionnels de l’agence.

Pour permettre un bon fonctionnement du lieu, une application a été créée. Elle a plusieurs fonctions : elle permet de contacter l’agence en cas de problème, d’informer ou d’organiser des événements avec les autres habitants de la résidence ou d’emprunter des éléments partagés. Par exemple, si on veut prendre un livre dans la bibliothèque ou un outil à l’atelier, il suffit d’ouvrir l’application et de scanner le QR-code fixé sur l’objet qu’on veut utiliser.

Fonctionnement de l'application Ensems pour faciliter la vie dans les habitats partagés.
Application de la résidence (cliquez pour agrandir)

Le fait que les espaces communs soient gérés par l’agence permet de limiter les litiges liés au ménage, à l’organisation et au partage des espaces.

De plus, cela évite aux habitants de passer trop de temps et d’énergie à la gestion des espaces partagés, fini les réunions interminables pour savoir qui va arroser le potager la semaine du 24 au 31 août.

Ici l’objectif est que les habitants profitent des espaces communs tout en limitant les contraintes qui vont avec.

Lors de notre visite dans le jardin, nous rencontrons un groupe de 5 personnes prenant le petit déjeuner. Ils nous saluent et commencent à discuter avec l’agent qui me fait la visite. Le tutoiement est de rigueur. Ils ont l’air de bien se connaître. J’apprendrai par la suite que l’agent est en fait le médiateur de la résidence et qu’il s’occupe de son bon fonctionnement. Il gère également les espaces partagés et les litiges s’il y en a.

Une des choses qui me surprend lors de la visite est la familiarité des habitants entre eux. Le lieu semble très convivial. Je ne connais encore personne à Montpellier. Habiter ici me permettrait sûrement de rencontrer du monde et de m’intégrer plus rapidement dans la ville.

La familiarité entre les habitants de la résidence est à la fois agréable, mais aussi un peu dérangeante. Si j’habite ici, au moins au début, j’aurai un peu l’impression de débarquer dans l’intimité d’une « famille » dans laquelle je ne fais pas vraiment partie. Il faudra m’adapter à des « us et coutumes » qui ne sont pas les miens. Par exemple ici, le vouvoiement semble proscrit. Je risque d’avoir du mal à tutoyer tout le monde dès le début.

Malgré la bienveillance qui semble régner dans la résidence, je présume que tout le monde ne doit pas s’entendre avec tout le monde. Il y a probablement des tensions de temps en temps. Le sujet est délicat, mais doit être abordé. Pierre m’explique qu’effectivement il y a parfois des tensions, mais que c’est rare. 

Tout a été pensé pour éviter les problèmes liés à la cohabitation. L’agence AMB pour laquelle travaille Pierre est spécialisée dans ce genre d’habitation partagée. Elle gère aujourd’hui plus de 10 résidences dans Montpellier et près d’une centaine en Occitanie. 

De plus, ce n’est pas tout le monde qui habite ce genre de résidence. Les personnes qui souhaitent vivre ici sont conscientes que le lieu est fait pour favoriser les interactions entre les voisins. Les misanthropes sont rares dans ce genre d’endroits. Ici, tout le monde est conscient que le partage d’espaces communs apporte à tous une qualité d’habitat qu’ils ne pourraient pas s’offrir eux-mêmes. Malgré quelques concessions à faire parfois, la qualité de vie est supérieure au logement classique.

Après avoir visité les espaces partagés, direction le logement que je souhaite louer. L’appartement est plutôt standard, il y a toutes les commodités pour vivre chez soi sans avoir à sortir : cuisine, toilettes, douche, lit…, mais il n’est pas très grand : 12 m². 

La visite touche à sa fin. Le logement en lui-même n’a rien d’extraordinaire, pour une surface identique, il existe bon nombre d’appartements mieux agencés et moins chers. En revanche, ce qui rend vraiment le lieu intéressant, ce sont les espaces partagés et le mode de vie semi-collectif proposé par un tel dispositif. Si on est pas trop solitaire, l’espérance proposée ici semble intéressante. Conclusion : Je pense que je vais louer l’appartement.


 

Éléments du présent qui ont guidé cette perspective future

  •  La perspective d’un développement de l’habitat participatif à l’avenir se justifie par :
    • Un besoin de réduire son empreinte environnementale.
    • Une probable augmentation du coût de la vie causée par l’augmentation du coût des énergies.
    • Un besoin de recréer du lien social et des réseaux de solidarités, notamment intergénérationnels à cause du vieillissement de la population.
  • En France, mais surtout en Europe du Nord, on voit apparaître de plus en plus d’habitats partagés. En France, les projets sont à l’initiative de groupes d’individus qui souhaitent vivre dans un habitat participatif. Des associations et entreprises coopératives peuvent aider les collectifs d’habitants à construire leurs projets.

« L’habitat participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis » (article L. 200-1 du Code de la construction et de l’habitat – CCH)

  • Actuellement, construire et vivre dans un habitat participatif demande beaucoup de temps et d’énergie aux (futurs) habitants. De plus, la peur de voir apparaitre des tensions causées par la gestion commune et la crainte d’avoir des difficultés à revendre un logement issu d’un immeuble partagé limite le développement de tel habitat. Pour ne pas arranger les choses, les banques restent également encore très frileuses pour financer ce genre de projet. Le développement de projets d’habitats partagés fonctionnel et l’émergence d’innovation dans la gestion de tel projet peuvent permettre de dissiper les craintes vis-à-vis de cette nouvelle façon d’habiter.
  • Même si le fantasme de la maison individuelle avec jardin est toujours très fort en France, il est de plus en plus contesté. 
  • Les agences immobilières, concurrencées par internet, constatent que leur métier évolue et seront contraintes de proposer de nouveaux services.
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Sources:

https://journals.openedition.org/metropoles/4960

https://www.union-habitat.org/centre-de-ressources/habitants-politiques-sociales/dossier-habitat-participatif

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000028772674

https://www.informationsrapidesdelacopropriete.fr/gestion-et-maintenance/3038-nd616-habitat-participatif-lavenir-de-la-copropriete?showall=1

https://reporterre.net/La-maison-individuelle-un-fantasme-individualiste-hors-sol

A.L

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