Printemps 2053 – La fin d’un métier

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires,  la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


 

Louis
57 ans
Charpentier
Rencontré le 4 mai 2053 à Montluçon, Allier

Aux abords de la ville, un chantier. Une maison en bois se construit. Les ouvriers s’affairent. Je m’arrête le temps d’une pause. Un artisan se joint à moi. Une discussion commence.

 
On a commencé le chantier il y a deux semaines. Ça va vite, mais il faut dire qu’on a préfabriqué les éléments en amont, dans l’atelier. […] C’est un boulot sympa, on arrive bien à travailler ensemble avec les collègues. C’est aussi agréable de faire quelque chose de ses mains, chaque jour je vois le bâtiment avancer, c’est gratifiant. Mon frère est hôte d’accueil à la mairie de Montluçon, c’est compliqué de voir le fruit de son travail dans ce genre de métier. Moi je pourrais pas, j’aurais l’impression d’avancer sur place. […] Le mauvais côté du métier c’est que c’est usant physiquement, même si on a des exosquelettes qui nous aident. Quand j’ai commencé c’était pas le cas, on se cassait le dos à longueur de temps. […]
 
Je travaille dans la construction bois depuis 4 ans, mais avant je travaillais déjà dans le bâtiment, dans la filière du béton. Avant de me former dans la construction en bois, j’ai travaillé dans la même entreprise plus de 30 ans. J’y étais rentré en alternance et finalement j’y suis resté 30 ans ! Ça parait fou, quand j’y repense ça me fait quelque chose. Vous imaginez, J’ai passé plus de la moitié de ma vie dans la même entreprise. J’ai sûrement passé plus de temps avec mes collègues de travail qu’avec mes parents ou mes enfants ! […] Le boulot n’était pas tout rose, c’était un métier usant et comme tout le monde, le lundi matin, personne ou presque n’est content de retourner bosser. Et pourtant, j’y étais pas si mal dans cette entreprise, sinon je n’y serais sûrement pas resté aussi longtemps. […] Passer autant de temps avec les mêmes personnes, ça crée un très fort esprit de camaraderie je trouve. C’est sûrement pas le cas partout, mais avec mes collègues, ça l’était. On était solidaires et on rigolait bien ensemble, ça rend le boulot moins laborieux et ça fait passer les journées plus rapidement. […] Je ne veux pas dire de bêtise, mais il me semble qu’en 30 ans, il y a eu moins d’une dizaine de démissions dans l’entreprise, c’est vraiment peu, ça prouve que les gens s’y sentaient bien. Peut-être que la difficulté et la peur du changement ont joué aussi. On sait ce qu’on perd, pas ce qu’on gagne. […]
 
On a senti la baisse d’activité au fil des années. Les infrastructures en béton étaient de moins en moins populaires. […] C’est fou, au début de ma carrière, une très grande partie des immeubles neufs étaient construits en béton, aujourd’hui on en fait presque plus. À l’époque de mes parents, la construction béton était le summum de la modernité, aujourd’hui, c’est devenu vieillot. On préfère construire en bois, en pierre ou en terre. On m’aurait dit à 20 ans que dans le futur on allait construire des bâtiments en terre crue, je ne les aurais pas crus. Sans mauvais jeu de mots (rire). À l’époque, on voyait ça comme une régression. La terre crue, c’était tout juste bon à construire une hutte, tout au plus. […] Je suis allé à Lyon récemment, il y a de très beaux bâtiments en terre crue là-bas. C’est très moderne, j’aime bien les dégradés de couleurs ocres sur les façades. […]
 
Après 30 ans de bons et loyaux services, l’entreprise a finir par mettre la clé sous la porte. Mes collègues et moi, on s’est retrouvés sur le carreau du jour au lendemain. Vous imaginez bien, ça a été très dur à digérer. Une époque était terminée, il fallait faire le deuil d’une part importante de ma vie. C’était pas toujours un métier facile, mais c’était mon métier et je l’aimais. Je suis plutôt du genre combatif, mais ça m’a mis un sale coup de perdre mon boulot. […] Au fond, je savais depuis des années que l’entreprise allait fermer, c’était inévitable. Mais personne ne voulait y croire, on était dans le déni. Quand ce qui devait arriver arriva, on l’a évidemment mal vécu.
 
C’est facile à dire après coup, mais j’aurais dû anticiper la fermeture. L’après aurait été plus facile à gérer. Et voir l‘entreprise couler ces dernières années, ça ronge l’esprit. On avait une épée de Damoclès au-dessus de nous. L’angoisse de la fermeture m’a pas mal abîmé la santé. […]
Il a fallu que je passe à autre chose, que je me reconvertisse et que je me forme à un nouveau métier. La filière béton c’était finie ! Même si j’ai été accompagné pour ce changement de carrière, ce n’est pas simple de reprendre une formation à 50 ans passés, surtout quand ce n’est pas réellement par choix. […] Je me suis naturellement reconverti dans la construction en bois, la demande de main-d’œuvre est forte et les techniques constructives m’intéressaient pas mal, c’est  assez différent de la construction béton tout de même. On fait beaucoup de préfabrication en amont du chantier. On fait ça dans un hangar, à l’abri des intempéries, c’est plus sympa que d’être dehors à monter des banches pour le béton. Ensuite, on vient installer sur le chantier les éléments préfabriqués. Les chantiers sont moins impressionnants que lorsque j’étais dans le béton. Il n’y a pas tout ce bazar nécessaire au béton. […]
 
Beaucoup de mes anciens collègues ont fait le même choix que moi, c’est plus facile de recommencer à plusieurs, on s’est serré les coudes et on a pu garder l’esprit de camaraderie que nous avions à l’époque. Sur ce chantier par exemple, j’ai deux collègues qui étaient avec moi dans le béton, ça fait plus de 20 ans qu’on travaille ensemble. […] J’ai eu pas mal de collègues qui ont fait le choix de travailler dans la rénovation, là aussi ça embauche pas mal. La demande en main-d’œuvre à beaucoup changé mais dans le secteur du bâtiment, il y a toujours eu besoin de bras. Je n’ai jamais eu de problème de chômage jusqu’à présent.
 
 

 

Le béton est mort, vive le bois

La production du ciment, élément clé pour la construction du béton, émet une quantité de CO2 non négligeable, c’est peu de le dire. La production de ciment est responsable d’environ 7 % des gaz à effet de serre. À titre de comparaison, le secteur de l’aviation est responsable de moins de 3 % des gaz à effet de serre au niveau mondial, ce qui, là non plus, est loin d’être négligeable (1).

Une des autres problématiques du béton, c’est le besoin en sable. Le sable, lui aussi indispensable au béton, est la première ressource naturelle consommée par l’homme après l’eau. Son importante consommation nécessite de prendre le sable des plages et des fonds marins. Cela provoque un affaissement des îles et impacte la biodiversité. Penser que le sable du Sahara permet d’assurer l’approvisionnement en sable est une erreur. Trop fin et trop lisse, il ne peut pas être utilisé pour le béton.

Le bois participe à absorber le CO2 atmosphérique, c’est un piège à carbone naturel qui permet de limiter le réchauffement climatique. À l’inverse de la construction en béton de plus en plus décrié, le bois est un matériau de construction de plus en plus plébiscité, la filière se développe en France (2) . Ses qualités environnementales en font un atout face aux enjeux liés au réchauffement climatique. Attention tout de même à ne pas mettre en péril la ressource par une demande trop importante.

Autre alternative au béton encore peu répandu en France mais enclin à se développer : le pisé, c’est-à-dire de la terre crue compactée. Au-delà de la faible émission de CO2 lors de la construction, les bâtiments en pisé offrent une excellente régulation hydrique et thermique des espaces. En été, le bâtiment se réchauffe moins vite et en hiver, il se refroidit moins vite. “C’est fragile, c’est un matériau du passé, on ne peut pas construire des architectures monumentales…” En France, la construction en terre crue est encore victime de nombreux préjugés qu’il est nécessaire d’être déconstruire pour développer la filière. Les architectures contemporaines en pisé  (3) permettent déjà de percevoir les atouts de ce matériau longtemps oublié en France.

À l’instar de l’industrie du bâtiment, de nombreux secteurs d’activité vont connaître d’importantes transformations en ce qui concerne l’emploi. Certains secteurs vont nécessiter moins de la main-d’œuvre quand d’autres vont faire grossir leur rang.

Pour éviter les crises sociales, il est important d’anticiper les transformations du secteur de l’emploi et de mettre en place des solutions pour que les reconversions se fassent dans de bonnes conditions.
 

 
(1) Cement – Analysis – IEA. (s. d.). IEA. https://www.iea.org/reports/cement
 
(2) Institut VEIA. (2021). Enquête nationale de la construction bois. Activité https://www.fibois-normandie.fr/wp-content/uploads/2021/10/Rapport_ENCB_activite2020_vf.pdf 
 
(3) L’Orangerie, Îlot B2 – Lyon Confluence / Clément Vergély architectes
Earth House / earthLAB Studio
The Great Wall of WA / Luigi Rosselli
Emergency Children’s Surgery Center in Uganda / Renzo Piano

 

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