Printemps 2053 – L’envol

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires, la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


Margot
51 ans
Ingénieure mécanique
Rencontré le 4 juin 2053 à Toulouse

Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Margot, une amie de ma sœur qui habite à Toulouse. Elle m’a proposé de déposer mes sacoches et mon vélo chez elle pour que je puisse découvrir la ville sans être encombré. J’arrive en fin de matinée devant la porte de son immeuble. Elle descend m’ouvrir et m’aide à porter les affaires et le vélo jusqu’à chez elle, au premier étage. Elle me fait entrer et m’indique de tout déposer dans le salon. Dans celui-ci, je découvre une grande vitrine dans laquelle plusieurs maquettes d’avions sont exposées. Nous discutons un peu avant d’aller déjeuner en ville.

C’est un vestige de mon passé ces avions. Moi aussi, j’ai longtemps bossé dans le secteur de l’aviation. Comme une grande partie de la ville d’ailleurs. On n’appelait pas Toulouse “La capitale de l’aéronautique” pour rien. J’ai travaillé pour un sous-traitant d’Airbus pendant une dizaine d’années. J’ai été embauchée directement après l’obtention de mon diplôme d’ingénieur. J’avais fait mon stage de fin d’études chez eux, il faut croire que je n’étais pas une si mauvaise stagiaire que ça. […]
Dès mon entrée dans le monde de l’aviation j’étais déjà au fait des problèmes environnementaux que ça causait. Je n’étais pas la seule d’ailleurs. Partout dans l’actualité, dès qu’il était question d’écologie, le sujet de l’aviation n’était pas bien loin. […] Il nous arrivait souvent d’en parler  avec certains de mes collègues de boulot. Ça créait parfois des situations quelque peu cocasses : beaucoup étaient très engagés sur le sujet, les débats étaient parfois virulents sur les problèmes environnementaux et les solutions à entreprendre. À côté de ça, on continuait à bosser dans un secteur contribuant au problème. […] Au fil du temps, les démissions se sont tout de même faites plus fréquentes. Pas mal de mes collègues ont démissionné pour travailler dans des domaines plus adaptés au développement durable. Ils n’en pouvaient plus de cette dissonance cognitive. […]
Moi, j’y suis tout de même resté pas mal d’années dans le secteur. Parce que ma situation était plutôt confortable économiquement et le boulot intéressant. Pas simple de retrouver un boulot comme ça. […] Avant de quitter le secteur de l’aviation, on a beaucoup travaillé sur la technologie de l’avion à hydrogène. Il y avait des défis techniques importants à relever, c’était passionnant. Malgré tout, la promesse de l’avion à hydrogène était un moyen de maintenir le secteur à flot, mais nous n’étions pas dupes. Nous savions que le transport aérien allait décroitre, c’était inéluctable. Faire voler un avion demande tellement d’énergie qu’il n’était pas possible de faire décoller autant d’avions qu’avant. […]
Je suis consciente que ce qui a le plus joué dans mon choix de rester aussi longtemps dans le secteur de l’aviation,  c’est la paye à la fin du mois. C’est confortable et rassurant de bien gagner sa vie. Surtout quand on a trois enfants. C’était difficile de démissionner sans être sûr de trouver un boulot à la fois passionnant et bien payé,c’est presque irresponsable. Je ne pouvais pas prendre le risque de mettre en situation de précarité économique mes enfants. C’est bien beau les convictions, mais prendre le risque de ne pas pouvoir rembourser le crédit de la maison ou financer les meilleures études pour mes enfants, ce n’était pas envisageable, je m’en serais voulu. […]
En fin de compte, je n’ai pas réellement eu besoin de démissionner. Il y a eu un plan social au cours duquel j’ai quitté la boîte. Ça s’est tout de même relativement bien passé pour moi. L’entreprise proposait des aides à la création d’entreprises, ce qui m’a permis d’être soutenue dans le projet que j’étais en train de construire avec deux amis et collègues. […] On fait du conseil aux entreprises pour leur permettre d’améliorer le rendement énergétique  de leur système de production. […] On est content, ça marche plutôt bien, on n’a pas trop besoin de courir à la recherche de nouveaux clients, c’est plutôt eux qui viennent à nous. On a même embauché deux employés pour répondre aux demandes. […] Clairement, par rapport à ce que je faisais avant, c’est plus de stress, plus de travail et j’ai un moins bon salaire même si je suis loin d’être à plaindre. Malgré tout ça, j’y mets plus de sens dans ce qu’on fait au quotidien. Et ça, ça change beaucoup de choses.

 


 

Sauvé par la technologie

« Ne sous-estimons pas l’inventivité de l’humanité. Les oiseaux de malheur qui prétendent que notre monde va droit vers la catastrophe sont pessimistes. Ils ne croient pas en l’ingéniosité de l’homme. D’ailleurs, il existe déjà des solutions : Captation du CO2 atmosphérique pour le piéger dans le sol, géo-ingénierie  (1), énergie nucléaire, avion à hydrogène… »
Le principal problème à ces « solutions » est un problème d’échelle. Nous émettons tellement de gaz à effet de serre que les technologies à notre disposition ne sont pas en mesure de compenser en totalité l’impact sur l’environnement causé par nos modes de vie.
  • Le nucléaire est capable de produire une énergie peu émettrice de CO2. Pour remplacer toutes les énergies fossiles par de l’énergie nucléaire, il faudrait construire environ 25 000 réacteurs nucléaires dans le monde (2). Aujourd’hui, il y a moins de 500 réacteurs en activité… Construire rapidement autant de centrales nucléaires rapidement n’est pas possible. D’autant qu’un réacteur nucléaire est complexe, il faut du temps et le savoir-faire suffisant pour ne pas prendre le risque d’un nouveau Tchernobyl ou d’un nouveau Fukushima. Un autre problème concerne l’approvisionnement en uranium et en eau nécessaire au fonctionnement des centrales. Aurons-nous suffisamment d’uranium pour toutes les centrales ? Quel sacrifice environnemental pour extraire cette ressource ? Qu’en est-il de la souveraineté de la France face aux états détenteurs de la ressource en uranium ?
  • Il existe des technologies capables de capter le CO2 atmosphérique dans l’atmosphère et de le piéger dans le sol. Les centrales de captations du CO2 atmosphérique déjà en service dans le monde captent approximativement 4 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année. L’humanité produit annuellement environ 43 Gt d’équivalent CO2. Pour atteindre la neutralité carbone, il faudrait construire plus de 6 millions de centrales en peu de temps, ces centrales qui sont par ailleurs très gourmandes en énergie. L’abondance énergétique, rappelons-le, est permise par les hydrocarbures qui rejettent beaucoup de CO2 dans l’atmosphère. C’est le serpent qui se mord la queue.
  • En ce qui concerne la géo-ingénierie, impacter le climat à l’échelle de la planète de façon rapide est suffisamment est à la fois complexe et risqué.
  • Si l’on se concentre sur le secteur d’activité de l’aviation. Des chercheurs ont estimé que pour remplacer le kérosène utilisé pour le seul aéroport Charles de Gaulle, il faudrait utiliser entre 10 000 et 18 000 éoliennes (soit 5 000 km2), 1 000 km2 de panneaux solaires ou 16 réacteurs nucléaires pour produire l’énergie nécessaire à faire voler les avions (3).
Faire le pari d’une évolution rapide et drastique de la technologie est un pari plus que risqué. Il faudrait d’abord être capable de faire maturer une technologie qui n’existe pas encore puis la mettre en usage à très grande échelle rapidement. Et quand bien même, ne pas changer nos modes de vie et s’appuyer uniquement sur la technologie pour compenser nos émissions de CO2 risque de provoquer une fuite en avant. Nous continuerons à surexploiter les ressources naturelles et à détruire les écosystèmes.
En revanche, les technologies, si elles sont utilisées à bon escient, peuvent nous aider à transiter de façon plus simple vers une société post-carbone.

 

(1) La géo-ingénierie est l’ensemble des techniques utilisées pour influencer le climat. Elle a vocation, entre autres, à influencer le climat à grande échelle pour permettre de compenser l’influence du climat exercé par l’activité humaine.

(2) Réacteur de 900 MWh

(3) Ravier, C. (2020, 30 septembre). Toulouse : des chercheurs critiquent Airbus pour sa promotion de l’avion à l’hydrogène. France 3 Occitanie.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/toulouse-chercheurs-critiquent-airbus-sa-promotion-avion-hydrogene-1878868.html

 

Partager

Laisser un commentaire

Défilement vers le haut