Printemps 2053 – Abolir la cage

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires,  la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


Elsa
22 ans
Étudiante en agroécologie
Rencontré le 30 mai 2053 à Olonzac, Hérault

Sur ma route, je croise une petite librairie. Ça tombe bien, je viens de finir mon livre et j’en cherche un nouveau à lire. À l’intérieur, je rencontre Elsa, une étudiante en agroécologie devenu libraire le temps d’un été. Elle me conseille des livres.

 

Ce livre retrace l’histoire de l’élevage industriel. Il est très instructif mais enrageant. C’est dans ce livre que j’ai découvert ce qu’était réellement l’élevage intensif ! Bien sûr j’en avais déjà entendu parler avant, mais je ne me rendais pas compte de l’ampleur du problème. Là, j’ai vraiment pris conscience de l’importance de cette horreur. Je ne sais toujours pas comment on a pu laisser faire ça, comment tout le monde a accepté une telle violence envers les animaux. Et tout ça à échelle industrielle ! Vous saviez qu’à une certaine époque 3/4 des animaux d’élevage étaient en cage. Pour les porcs on monte à 9/10. Et le pire dans tout ça, c’est que le gouvernement de l’époque incitait à «moderniser» l’élevage. Ils avaient une vision du progrès étrange. Pour être plus compétitif et vendre plus, il fallait industrialiser le processus de production de viande. C’est absolument dingue ! […]
Personne ignorait ces pratiques tortionnaires et tout le monde ou presque préférait ne rien voir. Tout le monde achetait de la viande comme on achetait des pâtes, sans se poser beaucoup de questions. […] Mes parents aussi nous faisaient manger de la viande de merde presque à chaque repas. Les jambons-purée de mon enfance, je les ai encore en travers de la gorge. J’en veux parfois a mes parents de m’avoir fait manger ces cochons dont la vie n’a été un putain d’enfer. […] J’en ai déjà parlé à mes parents de ça, ils ont beau m’expliquer que c’était une autre époque, et aussi que ça permettait à tout le monde de manger de la viande pas chère. Je trouve ça un peu facile comme excuse. D’autant qu’eux n’avaient pas de problème d’argent, si c’était le cas, on aurait pu manger moins de viande mais de la viande fermière. Manger un steak à chaque repas c’est peut-être excessif. […]
J’en ai mangé une bonne partie de mon enfance de la viande industrielle. Petit à petit, mes parents ont tout de même commencé à acheter de la viande directement au producteur. Le fermier passait tous les mois pour livrer la viande qu’on lui avait commandée. […]
C’est dingue ! Ça fait moins de 20 ans que l’élevage industriel a petit à petit été interdit. Ça paraît venir d’une autre époque. […]
Je mange de la viande encore aujourd’hui. Mais je mange de la viande issue d’animaux dont la vie n’a pas été un enfer. Certains de mes amis pensent qu’il y a une dissonance cognitive sur mon engagement pour le bien-être des animaux et mon non-végétarisme. Je n’ai pas de problème avec la mort mais avec la souffrance. Ces deux choses ne sont pas forcément liées. […] Mettons-nous à la place d’un animal d’élevage. Si on vit dans de bonnes conditions et si on ne sait pas que l’on va mourir, alors la vie est paisible. Après la mort, on n’est plus là pour se morfondre sur son sort, il n’y a pas de souffrance. Ce qui est difficile quand quelqu’un meurt c’est pour les proches, c’est vivre avec le manque de quelqu’un. Le mort lui, il s’en fout, il est mort. Concernant les animaux d’élevage, ils ne tissent pas les mêmes liens entre eux que nous le faisons entre humains. Les poules qui perdent un congénère ne semblent pas être dévastées, elles continuent à picorer comme si de rien n’était.

 


 

Animal-Machine

Comme le reste des produits de consommation, une partie importante de l’élevage s’est industrialisée, cela a pour effet d’augmenter la production tout en diminuant les coûts. « On produit plus pour pas cher, c’est parfait ! » Non, cette industrialisation coûte cher à l’environnement  : pollution des sols, besoin en eau, production de gaz à effet de serre…
L’exploitation du vivant à échelle industrielle n’est pas anodine ni anecdotique. Elle révèle le rapport détaché et utilitariste que nous entretenons parfois avec le vivant. Pour autant, celui-ci évolue, preuve en est, le Code civil ne considère plus l’animal comme un meuble, mais comme un être doué de sensibilité (article 515-14 du Code civil). Oui, chaque espèce a un rapport au monde qui lui est propre, pour autant, l’homme n’est pas la seule espèce à ressentir le stress, la peur, la souffrance… (1) Sachant cela, est-il encore concevable de continuer de produire de la viande de façon industrielle ? En privilégiant le rendement au détriment du bien-être animal ? Les animaux ne sont plus considérés comme des objets, on ne peut plus produire de la viande comme en produirait une table basse Ikea. Les choses avancent, l’élevage intensif est de plus en plus contesté, la consommation de viande en France baisse  (2), le végétarisme et le véganisme prennent de l’ampleur (3).
Autre question à se poser : le souci du bien-être animal et la consommation de viande sont-ils compatibles ? Oui, certains éleveurs mettent le bien-être animal au cœur de leur métier. (4)

 

(1) Douleur, souffrance, conscience : mieux les identifier chez les animaux. INRAE Institutionnel.
https://www.inrae.fr/actualites/douleur-souffrance-conscience-mieux-identifier-animaux

(2) En 20 ans (2000-2020), la consommation de viande par habitant a baissé de 12 % en France.

(3) Synthèse conjoncturelles, n° 394. FranceAgriMer. (Juillet 2022).
Le végétarisme est un régime alimentaire excluant les aliments qui ont nécessité la mort d’animaux. Le véganisme est un mode de vie qui refuse l’exploitation des animaux sous n’importe quelle forme. 

(4) Améliorer le bien-être des animaux dans les élevages : les actions d’INRAE. INRAE Institutionnel.
https://www.inrae.fr/ameliorer-bien-etre-animaux-elevages-actions-dinrae

 

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