Printemps 2053 – Le pavillon

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires,  la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


Karim
50 ans
Graphiste
Rencontré le 21 mai 2053 à La Favède, Gard

Le hasard de mon voyage me conduit à traverser un quartier qui semble laissé à l’abandon. La route est dans un triste état, malgré quelques maisons rénovés, beaucoup d’entre elles paraissent mal en point. Je suis un peu perdu et cherche à retrouver le chemin qui me mènera à La Grande-combe. Je finis par croiser une maison magnifique entourée d’un jardin dans lequel j’aperçois des enfants jouer au ballon et un homme arroser son potager. Je m’arrête pour demander mon chemin. Une discussion commence.

 

Au vu de la route toute abimée et des quelques maisons en mauvais état, je vous l’accorde, le quartier semble un peu laissé à l’abandon. Mais, à quelques exceptions près, la plupart des maisons sont habitées, il y a eu beaucoup de nouveaux arrivants dans le quartier ces derniers temps. Bon nombre d’habitations sont en cours de restauration. […]

La route est tout abimée par ce qu’elle n’est presque plus entretenue par les collectivités. Entretenir les réseaux dans les quartiers pavillonnaires loin de tout comme celui-ci a un cout économique et environnemental excessivement élevé pour les collectivités. C’est une des nombreuses raisons pour lesquelles, la construction de nouveaux quartiers peu densifiés comme celui-ci a été interdite un peu partout en France. Concernant les quartiers pavillonnaires déjà existants, les réseaux sont beaucoup moins entretenus qu’auparavant. […] Au sujet de l’eau potable, nous ne sommes plus alimentés via la municipale. Il y avait de trop nombreuses fuites dans les canalisations. À l’époque, quasiment un tiers de l’eau était perdu dans les fuites. […] Maintenant, nous sommes alimentés par une micro station qui pompe la nappe phréatique en dessous et qui alimente seulement le quartier. Pour les eaux usées, c’est pareil, il y a une micro station d’épuration ici. […] Le fait que la gestion de l’eau soit réalisée à l’échelle du quartier ne nous dispense pas des restrictions d’eau. Au contraire même, notre accès à l’eau dépend uniquement de celle-ci. Si elle est vide, on a plus d’eau, c’est aussi simple que ça. […]

Nous concernant, ça fait un peu plus de 10 ans qu’on est installé ici. On habitait à Montpellier avant, cependant, c’était devenu trop compliqué. Les loyers sont trop chers et les coupures d’eau et parfois d’électricité en hiver, ce n’est pas simple avec des enfants. Je ne vous parle même pas des canicules en été, impossible de vivre dans un tout petit appart surchauffé, on habitait dans 60 m² à 4, l’appart n’avait qu’une seule façade. La nuit, on étouffait, impossible d’avoir un courant d’air. […]

On s’est installé ici avant que les maisons pavillonnaires aient un nouveau regain d’intérêt, on a acheté la maison pour un très bon prix. Beaucoup de gens ont voulu vendre un temps parce que le quartier est loin de tout et les maisons trop énergivores et trop chères à entretenir. Pour nous, c’était une aubaine. Ma compagne et moi télétravaillons la plupart du temps, donc on se déplace peu. Qu’on soit loin de tout n’était pas vraiment un problème, le seul trajet quotidien, c’est pour amener et chercher les enfants à l’école. […]

Depuis qu’on est là, on a fait pas mal de rénovations dans la maison, on est assez bricoleurs. Heureusement, d’ailleurs, vous auriez vu l’état dans lequel elle était quand on l’a acheté. Je me souviens, le premier hiver qui a suivi notre installation, on a eu si froid ! On n’arrivait pas à chauffer la maison, on a vécu à 15°C pendant plusieurs semaines. Si on volait chauffer plus, fallait dépenser une somme folle. Ça revenait à choisir entre mourir de froid ou mourir de faim, on a choisi la première option. Pour faire des économies de chauffage, on avait condamné le premier étage et on a chauffé qu’au rez-de-chaussée. Les enfants dormaient dans le salon, ma femme et moi dans le bureau. […] Ce n’était pas uniquement pour des raisons d’économie de chauffage qu’on faisait ça. Le premier hiver ici était rude et il y avait des restrictions d’électricité et quelques fois des coupures. Même si nous avions eu les moyens de chauffer correctement la maison, on aurait juste eu moins froid, néanmoins on aurait eu froid quand même. […]

À la suite de ça, j’ai mis une sacrée couche d’isolant sur les murs et dans les combles, personne ne voulait revivre un hiver pareil. Les aides d’état à la rénovation nous ont bien servi. On s’était endetté pour acheter la maison et on n’avait que peu de moyens pour la rénover. Sans cela, on aurait sûrement redormi dans le bureau l’hiver suivant. Par la suite, quand nous avons eu l’occasion de le faire, on a installé des panneaux solaires et une cuve pour récupérer les eaux de pluie. Ça nous évite d’être trop contraints par les restrictions d’eau et d’électricité. On peut arroser sans trop de problème le jardin tout l’été. Vous avez vu comme le potager est beau ?

 


 

La maison individuelle

À partir de la fin du XXe siècle, les villes et villages se sont considérablement étalés. Depuis les années 1980, les surfaces bâties ont été multipliées par 2,6 (1). Autre statistique frappante, entre 2006 et 2014, presque la moitié des terres artificialisées ont été destinées à la construction de maisons avec jardin (2). La voiture est la principale explication à cette expansion. “Grâce” à elle, il est possible de créer des zones d’habitation étendue et loin des commodités. Même si la boulangerie est loin, on peut toujours prendre la voiture pour aller chercher des croissants le dimanche matin. Une autre explication concerne l’aspiration de beaucoup à accéder à la maison individuelle. Ce type d’habitation est souhaité par 3 français sur 4 (3). Cela se comprend : Un grand jardin, beaucoup d’espace, pas de problème lié à la gestion en copropriété… Vivre en maison individuelle est aussi un symbole de réussite. “Si à 50 ans tu n’es pas propriétaire d’un pavillon de banlieue, c’est que tu as raté ta vie.”
Ce n’est pas une surprise, la maison pavillonnaire est un problème pour l’environnement : Les maisons loin de tout rendent dépendant à la voiture (responsable, rappelons- le, de plus d’un quart des émissions de CO2 en France.). Les maisons pavillonnaires ont les quatre façades exposées à l’extérieur, il faut donc chauffer plus en hiver. L’étalement urbain nécessite la construction et de nouvelles infrastructures telles que les réseaux routiers, d’eau, d’électricité… La construction et l’entretien de ces réseaux à un coût économique et environnemental non négligeable. La faible densité urbaine ne permet pas le développement de services de transport en commun. L’artificialisation des sols restreint la biodiversité, empêche les sols de capter l’eau de pluie et supprime des terres agricoles ou forestières.
Devons-nous faire un trait sur notre souhait de vivre dans notre propre maison pavillonnaire ? D’avoir un jardin dans lequel les enfants pourront jouer en sécurité ? De faire pousser des légumes dans son propre potager ? Pas forcément. Par exemple, les maisons mitoyennes (ou en bandes) proposent un service relativement similaire à la maison pavillonnaire tout en réduisant les nombreux problèmes que provoque la maison pavillonnaire.
Exemple de quartier constitué de maison mitoyenne individuelle (1ha)
Exemple de quartier constitué de maison Pavillonnaire (1ha)
Pour une surface identique, le quartier de maison mitoyenne individuelle accueille 26 maisons avec jardin quant au quartier de maison individuelle, il accueille seulement 15 maisons avec jardin.
La densité de population dans les quartiers de maison mitoyenne permet d’accueillir plus facilement des commerces de proximité et le développement des transports en commun. Les habitants deviennent moins dépendants de la voiture.

 

(1) Ballet, B. (2021). L’occupation du sol entre 1982 et 2018. Ministère de l’agriculture (AGRESTE)
(2) Stébé. J-M. (2020). La préférence française pour le pavillon, Jean-Marc Stébé Dans Constructif 2020/3 (N° 57)
(3) Sondage FFC / IFOP Janvier 2022

 

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