Printemps 2053 – L’engagement d’une vie

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires,  la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


Sophie
71 ans
Retraité
Rencontré le 14 mai 2053 à Saint-Flour, Cantal

Dans la cuisine autour d’un repas. Une femme rencontré une heure plus tôt dans le parc de la place d’armes. Elle vit seule et je voyage seul, nous sommes tous deux d’humeur à partager un repas. Une page de journal sur un mur.

 

La page de journal encadrée au mur, c’est la tribune que nous avions publiée dans Le Monde en 2O2O. Avec de nombreux confrères scientifiques, nous avions écrit un texte engagé où nous faisions le constat des impacts de notre modèle social sur l’environnement. La tribune était virulente, nous appelions à la rébellion. […]
S’il y a une chose dont je suis fière dans ma vie, c’est mon engagement pour la défense de l’environnement. Il a fallu se battre pour initier un changement de modèle de société. À l’époque, le discours écologiste était très critiqué, souvent caricaturé. Nous étions considérés comme moralisateurs, des gens austères et autoritaires, souhaitant tout interdire. Beaucoup considéraient l’écologie comme un rejet de la modernité et une nostalgie du temps d’avant, sans tout le confort moderne. Certains, c’est vrai, prônaient un retour à la terre, cependant ils étaient peu nombreux à vouloir bêcher des hectares de sol dans le froid de l’hiver.  […]
On se rend bien compte aujourd’hui que la transition écologique était plus qu’indispensable. Nos vies ne sont pas celles caricaturées par les antiécologistes du début du siècle, je n’ai pas le sentiment que l’on me prive de mes libertés et que nous avons fait un retour en arrière. Tu vois, j’ai encore chez moi, électricité, eau courante, frigo, machine à laver, aspirateur et j’en passe. Nous avons certes quitté l’ère de l’abondance, cependant la frugalité que nous vivons aujourd’hui n’est pas bien difficile à vivre, elle a au contraire de nombreux aspects positifs. […]
Pendant un temps, on s’est contenté de faire de la pédagogie pour sensibiliser aux problèmes environnementaux. C’était un début, beaucoup de personnes ont intégré, au moins en partie,  les risques liés au réchauffement climatique.  Malheureusement ça ne suffit pas pour transformer la société. C’est toujours difficile le changement, surtout s’il est contraint. C’est plus facile de changer de comportements poussé par le désir que par la contrainte. […]
La prise de conscience a permis d’initier quelques changements de comportement mais vous vous doutez bien que ça ne suffisait pas. Ne plus faire couler l’eau quand on se brosse les dents ou trier ses déchets c’était un bon début certes, mais bien évidemment, à des années lumières d’être suffisant. La tâche était immense, c’était le système qu’il fallait faire évoluer en profondeur. […] Lorsque je parle de système, je parle certes de l’organisation de la société,  mais avant ça, du système de pensée, vous voyez ? […] J’essaie de trouver un exemple parlant pour que vous puissiez mieux comprendre. […]  Dans les années 2000 et même longtemps après, le sujet central des élections présidentielles c’était “le pouvoir d’achat”. Dans l’inconscient collectif, le pouvoir d’achat était la solution pour améliorer les conditions de vie. Dans une certaine mesure c’était le cas, il faut suffisamment de moyens pour vivre décemment et même au-delà, pour avoir une vie joyeuse. Mais au fond, à l’époque, quand on parlait de pouvoir d’achat, on parlait surtout de notre capacité à consommer, dans sa globalité. C’est-à-dire sans distinction entre pouvoir acheter sa propre maison et pouvoir acheter une maison secondaire en Normandie, ou entre avoir les moyens de se chauffer à 18°C en hiver et avoir les moyens de chauffer sa piscine à 26°C toute l’année. Le projet de société que l’on nous proposait à l’époque était de pouvoir consommer toujours plus. Travailler plus pour consommer plus. La croissance économique était presque devenue une fin en soi. […]
Comme je vous le disais, il fallait changer le système de pensée avant tout, mais aussi le fonctionnement de la société. Et c’est vrai, c’est quand l’État s’est mis à encourager certaines pratiques et à en contraindre d’autres que les choses ont considérablement changé. Sans l’intervention de l’État, le changement aurait difficilement eu lieu : quand les entreprises ont du mal à changer de pratique au risque de ne plus être compétitives dans un marché ultra concurrentiel, sans intervention de l’État c’est compliqué. Quand l’avion est bien moins cher et plus rapide que le train, pourquoi prendre le train ? Quand un vêtement produit dans un pays lointain est moins cher que le même article produit en Europe, pourquoi faire le choix du made in Europe ? Souvent même, le choix n’était tout simplement pas possible faute de moyens économiques. […]
Je me suis beaucoup engagé en politique, cependant je n’ai jamais souhaité adhérer à un parti, ce n’était pas pour moi. J’ai toujours tenté de faire évoluer les choses dans le sens qui me semblait juste, même si avec du recul je n’ai peut-être pas été très pertinente sur la forme de certaines de mes actions. La forme n’était peut-être pas toujours pertinente, en revanche, sur le fond ça l’était. Voir et ne rien faire face à l’effondrement de la biodiversité, le réchauffement climatique, les inégalités et la pauvreté s’installer, c’était insupportable. Il fallait absolument changer les choses, ça a peut-être été utile de réaliser des actions coup de poing. Au moins, on a réussi à mettre les sujets primordiaux sur le devant de la scène médiatique. […]
Une des actions politiques auxquelles j’ai contribué et qui m’a le plus marqué, ça a été mon engagement pour l’instauration du tarif exponentiel de certaines ressources comme l’énergie par exemple. Avec plusieurs militants, on avait lancé une pétition soutenue par de nombreuses personnalités politiques et qui avait fait beaucoup de bruit. Initialement, la pétition avait pour objectif d’inciter les politiques à voter un rationnement de l’énergie par foyer, c’est-à-dire qu’un foyer ne pouvait pas consommer plus d’une certaine quantité d’électricité par mois, c’était évidemment proportionnel aux nombres de personnes par logement. Je sais que certaines communes faisaient déjà ça en ce qui concerne l’eau. Avec ce projet de loi, on souhaitait diminuer de façon importante le besoin en énergie fossile sans que le prix de l’électricité explose. Bon, ça a été perçu comme une privation des libertés fondamentales, on s’est fait incendier, on nous a traités de fachos, on a été harcelé, on a reçu des menaces. Bref, ça n’a pas été facile à gérer. Finalement l’objectif initial de la pétition n’a pas abouti, cependant ça a lancé le débat. Peu après, une proposition de loi assez proche de la nôtre a été votée : le fameux tarif exponentiel. Comme ça, les premiers kWh d’électricité sont très peu chers pour permettre à tout le monde d’y avoir accès. Et, les personnes qui veulent consommer davantage peuvent le faire, par contre, plus ils consomment et plus le prix de leur électricité explose.

 


 

La mise au régime

Lors d’un repas, si l’on apporte à table de quelques personnes des gâteaux immenses, alors chacun des convies présents autour de la table peut prendre autant de gâteaux qu’il le souhaite sans que cela se fasse au détriment d’autres. D’autant qu’en cuisine, on s’affaire pour produire de nouveaux gâteaux. Par contre, si le nombre de personnes souhaitant du gâteau augmente constamment et si les convives ont un appétit de plus en plus grand, il est possible que les gâteaux, aussi grands soient-ils, viennent à manquer. Les pâtissiers ont beau travailler d’arrache pied pour faire de nouveaux gâteaux, il finira tôt ou tard par manque de dessert. Ceux qui voudront et pourront s’accaparer beaucoup de gâteaux risquent de le faire au détriment des autres. Certains seront plus que rassasiés pendant que d’autres se partageront les restes.
Revenons aux sujets environnementaux. Aujourd’hui, la population mondiale est devenue si grande et son appétit en ressources naturelles si important que certaines d’entre elles commencent à manquer. Par endroit, l’environnement n’est plus capable de suivre la gourmandise des Hommes. Les nappes phréatiques se remplissent moins rapidement que l’eau que nous utilisons, les forêts ne se renouvellent pas aussi rapidement que ce que nous coupons, les poissons que l’on pêche se raréfient, le gaz naturel ou le pétrole finiront eux aussi par manquer. L’extraction considérable de ressources naturelles provoque un autre problème déjà évoqué : la destruction de l’environnement et le réchauffement climatique.
Pour éviter la pénurie en ressources naturelles, il est nécessaire que chacun, notamment les plus gourmands, se mette au régime. C’est-à-dire moins consommer et limiter la production de gaz à effet de serre. Consommer trop d’eau, d’électricité, de bois, c’est prendre le risque d’une pénurie ou d’une pollution dont tout le monde paiera les frais. Il faut que nous apprenions à partager le gâteau et à restreindre notre appétit, pour ne pas laisser mourir de faim son voisin.
Autre problème, la raréfaction des ressources naturelles va inévitablement faire augmenter les prix de ces ressources. Les plus fortunés pourront continuer à s’accaparer les ressources aux dépens des plus précaires qui plongeront un peu plus dans la misère (1). Il est nécessaire de trouver des solutions pour permettre aux moins fortunés d’avoir accès aux ressources naturelles dont l’offre est limitée par des contraintes environnementales.

 

(1) Un des exemples célèbres concernant l’accaparement des ressources naturelles se trouve au Mexique. L’entreprise Coca-Cola puise une importante quantité d’eau dans les nappes phréatiques de la région (500 millions de litres d’eau par an). Les nappes phréatiques s’assèchent, rendant de plus en plus difficile l’accès à l’eau de la population.
Public Sénat. (2017). Mexique : un pays colonisé par « Coca-Cola » – Public Sénat. Public Sénat.
https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/mexique-un-pays-colonise-par-coca-cola-75712#:~:text=Le%20Mexique%20est%20le%20premier,pour%20le%20pays%20sont%20nombreuses.

 

Partager

Laisser un commentaire

Défilement vers le haut