Printemps 2053 – Les pieds dans l’eau

Au printemps 2053, j’ai entrepris un voyage à vélo à travers la France, parcourant plus de 1000 km sur 6 semaines. Mon but était simple : rencontrer au hasard de mon chemin des inconnus et recueillir leurs histoires. Chacun de nous a des récits personnels qui révèlent bien plus qu’ils ne le laissent paraître. Ces histoires reflètent notre époque, nos territoires,  la complexité et la tendresse des relations humaines. À travers ce projet sur les routes de France, j’ai souhaité capter des témoignages de notre société. Voici l’un d’entre eux.

Pour en savoir plus sur le projet Printemps 2053


Enzo
57 ans
Enseignant
Rencontré le 26 mai 2053 à Lattes, Hérault

Je longe la côte méditerranéenne, un vent terrible venu de la mer souffle, emportant avec lui le sable de la plage qui me fouette le visage.  Difficile d’avancer dans ces conditions. Un peu plus loin sur la route, j’aperçois une maison isolée située hauteur. Je décide de demander l’hospitalité en attendant que le vent faiblisse. Arrivé à la maison, le propriétaire du lieu me propose de quoi reprendre des forces. Nous prenons un thé accompagné de quelques biscuits dans sa véranda, à l’abri du vent, elle donne vue sur la mer agitée en contrebas.

 

D’ici, on est à 30 minutes à pied de la plage. L’été, quand il fait bien chaud et que l’on veut aller se rafraîchir dans la mer, la demi-heure de marche paraît interminable. Le retour est encore pire parce qu’on doit monter la côte. Avec l’élévation du niveau de la mer, on va être de plus en plus près de la mer, c’est une bonne chose. […] Vaut mieux en rire vous savez. Mes parents ont perdu leur maison comme ça. […] Ils avaient acheté une maison au bord de la mer pour leur retraite, à Palavas-les-flots c’était. Ils ont habité Montpellier pendant des années pour le boulot. Depuis que je les connais, ils ont toujours rêvé d’aller vivre au bord de l’eau. Montpellier c’est pas bien loin de la mer, en tramway, il y en a pour un peu plus d’une demi-heure. On y allait souvent les week-end. Mais c’est totalement différent d’habiter en bord de mer ou à une demi-heure. […]
Quand ils habitaient Palavas, j’ai toujours vu ma mère se baigner tôt le matin, juste avant le petit déjeuner. À Montpellier, c’est impossible de faire ça. […] Moi et mon frère, on aimait se baigner en plein hiver quand c’est la tempête dehors. J’exagère quand je dis qu’on allait se baigner, c’était plutôt une trempette, enfin bon. Dès qu’on commençait à être gelé, on courrait en direction de la maison pour prendre une douche chaude et se réchauffer.  […]
Mes parents n’étaient pas riches, ma mère était aide-soignante et mon père travaillait dans la restauration. Après que l’on soit indépendant financièrement, mon frère et moi, ils ont commencé à économiser pour acheter la maison. Ils se sont beaucoup privés pour ça. […] C’est grâce à ces petits sacrifices du quotidien qu’ils ont pu réaliser leur rêve à leur retraite. Ils étaient si fiers, je pense que pour eux, vivre en bord de mer, c’était avoir réussi sa vie. […]
Quand ils ont acheté la maison, elle se trouvait à 100 mètres de la plage, le rêve ! En quelques années ils se sont retrouvés à 90 mètres puis 80 mètres, enfin, vous avez compris la suite. Au bout d’une dizaine d’années après leur arrivée dans leur nouvelle maison, il y a eu les premières maisons détruites dans le quartier, les maisons les plus proches de la mer avaient les fondations rongées par l’eau salée. Quelques années plus tard, c’est la maison voisine qui était détruite. Le bon côté c’est qu’ils pouvaient enfin voir la mer depuis leur cuisine. L’ironie du sort c’est que mes parents avaient voulu acheter une maison avec vue directement sur la mer, cependant le prix des maisons était bien plus cher. Lorsqu’ils ont enfin pu voir l’eau depuis leur cuisine, ils ne se sont pas réjouis pour autant, ils savaient que leur maison allait être détruite, c’était une question d’années. Savoir ce qui allait arriver tout en étant totalement impuissant face à la situation, ça ronge l’esprit. […]
Construire des digues a été une option mise sur la table à un moment, au final ça ne s’est pas fait. […] La raison principale est le coût des travaux. Construire une digue sur plusieurs kilomètres coûte très cher. Indemniser les sinistrés coûtait moins. Je crois que ce qui a aussi fait peser la balance c’est la protection des paysages et du littoral. […] De toute façon, construire des digues n’allait pas changer le problème. C’est comme ça, la mer avance, on peut difficilement lutter contre. […]
Dans ce genre d’histoires, mes parents ne sont pas les plus à plaindre, ils ne couraient pas de grand danger dans leur maison. En Normandie, c’est triste ce qui se passe avec l’effondrement des falaises. Imaginez, vous vous réveillez un matin et votre maison qui se trouvait à plusieurs dizaines de mètres de la falaise de la falaise est maintenant au bord du précipice. Avec une partie du jardin déjà mangée par l’océan ! Être obligé de quitter la maison du jour au lendemain, c’est terrible. […]
Mes parents ont réussi à vivre jusqu’à leur dernier jour dans leur maison il y ont vécu un peu moins d’une trentaine d’années. Après le décès de ma mère, on a fait raser la maison.

 


 

Montée des eaux

Dilatation des océans et fonte des glaces terrestres, le réchauffement climatique fait monter le niveau de la mer. Depuis le début de XXe siècle, le niveau moyen des océans est monté de plus de 20 centimètres (1). D’ici 2050 il devrait encore augmenter de 30 centimètres. Les océans mangent les terres. En France par exemple, le trait de côte a reculé par endroit de plus de 1 mètre 50 par année (2). Rio, Lagos, Bombay, Hambourg, New York… Sur l’ensemble des continents, des centaines de villes sont menacées.
La construction de digues est un moyen de lutter contre l’avancée des océans, mais ces digues ne règlent pas le problème. Si la planète continue de se réchauffer, l’eau continuera de monter, nous ne pouvons pas construire des digues toujours plus grandes.

 

(1) Change, Sea Level | NASA Global Climate Change. Climate Change : Vital Signs of the Planet.
https://climate.nasa.gov/vital-signs/sea-level/

(2) CEREMAT. (2022). Indicateur national de l’érosion côtière.
https://www.geolittoral.developpement-durable.gouv.fr/premiers-enseignements-r476.html

 

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